La marijuana est légale au Canada depuis quelques jours. Quand des employés se présentent au travail alors qu’ils semblent en état d’euphorie, c’est aux employeurs qu’il incombe de décider de les autoriser à rester travailler ou de les renvoyer chez eux. Compte tenu de la légalisation du cannabis, les employeurs vont devoir se spécialiser dans la détection des facultés affaiblies – en particulier s’ils gèrent des milieux de travail où la sécurité est primordiale.

Pourtant, une question revient souvent. Vu l’augmentation du nombre de personnes en état d’euphorie (les premiers stocks sont apparemment épuisés), beaucoup d’employeurs se demandent s’ils peuvent interdire aux employés de fumer de la marijuana pendant une certaine période avant de venir travailler, ou même complètement. Huit heures semble être le chiffre magique en matière de conduite automobile, même s’il s’agit évidemment d’un sujet délicat puisqu’il n’y a tout simplement pas assez de preuves à ce jour pour formuler une recommandation définitive. En d’autres termes, nous avançons à tâtons.

Il est inconcevable que les pilotes, les chirurgiens ou les agents de police fument des joints avant de partir travailler (alors que les restrictions en matière d’alcool paraissent moins strictes). Mais qu’en est-il des réceptionnistes? Ou des responsables informatiques? Est-il réaliste de vouloir dicter à tous les employés ce qu’ils doivent faire quand ils ne sont pas au travail? Souhaitons-nous vraiment aller dans cette direction? Tout dépend de la personne interrogée.

Cette problématique englobe le dépistage et la question de savoir si les employeurs auront désormais des droits accrus pour dépister en milieu de travail les employés qui viennent travailler avec leurs facultés affaiblies ou alors qu’ils sont dans l’incapacité d’exécuter leurs tâches.

Revenons-en aux principes élémentaires. Les employés n’ont jamais été autorisés à venir travailler avec leurs facultés affaiblies ou alors qu’ils sont dans l’incapacité d’exécuter leurs tâches. Les employeurs ont toujours été en droit d’exiger que leurs employés se présentent au travail en étant prêts et aptes à remplir leurs fonctions. Il n’y a là rien de nouveau.

De plus, en matière de gestion des facultés affaiblies au travail, les employeurs ont des obligations relatives aux droits de la personne, par exemple l’obligation d’accommodement des personnes dépendantes ou consommant de la marijuana à des fins médicales. Toutefois, l’interdiction d’avoir des facultés affaiblies au travail s’applique même aux personnes consommant de la marijuana à des fins médicales, en particulier à celles occupant des postes dits critiques pour la sécurité. Le cas s’est récemment présenté à la Commission de transport de Toronto (CTT), dont une employée a affirmé vouloir consommer de la marijuana à des fins médicales pour gérer ses douleurs chroniques. La CTT a déterminé que cette employée occupait un poste critique pour la sécurité et qu’elle ne pouvait pas consommer de la marijuana au travail pour gérer ses problèmes de santé.

De manière générale, les employeurs ne peuvent pas dicter aux employés ce qu’ils sont autorisés à faire dans leur vie personnelle. Toutefois, compte tenu de la légalisation de la marijuana, il se peut que les employeurs doivent s’immiscer dans la vie des employés occupant des postes de haut niveau et des postes critiques pour la sécurité. C’est là qu’est la nouveauté et c’est donc là que la partie devrait se jouer.

Contrairement aux États-Unis, où les employeurs ont des droits beaucoup plus étendus en matière de dépistage, la loi au nord de la frontière interdit généralement aux employeurs de forcer les employés à se soumettre à des tests de dépistage aléatoires. Pour qu’un test de dépistage soit légalement admissible, il faut que la personne employée occupe un poste critique pour la sécurité. De plus, l’employeuse ou l’employeur doit avoir un motif valable pour procéder au dépistage, par exemple si la personne employée semble avoir des facultés affaiblies et qu’une forte odeur est présente.

Je pense que la distinction entre postes critiques et non critiques pour la sécurité risque de devenir moins évidente avec la légalisation du cannabis à des fins récréatives, car il devrait y avoir plus d’employés avec les facultés affaiblies au travail. Il n’en reste pas moins que la consommation de marijuana au travail n’est pas autorisée (sauf pour une raison médicale spécifique).

À quoi peut-on s’attendre?

J’imagine que certains employeurs vont tâter le terrain en procédant à des tests de dépistage plus fréquents, en particulier chez les employés occupant des postes critiques pour la sécurité. Historiquement, les tribunaux se sont montrés conservateurs sur la question, mais je pense que cela va changer. Les employeurs devront s’assurer que leurs politiques sont à jour. Il faudra également adapter la formation en milieu de travail pour sensibiliser les employés aux politiques actualisées et pour permettre aux responsables et aux superviseurs de détecter les facultés affaiblies. Enfin, il incombera aux employeurs de trouver un équilibre sur des questions de droits de la personne contradictoires et de gérer les problèmes de dépendance et de toxicomanie.